Eo chante un instant à la tête de ses troupes.
"Puis, ils se sont liés en étreintes féroces,
Le souffle au souffle uni, l'oeil de haine chargé.
Le fer d'un sang fiévreux à l'aise s'est gorgé ;
La cervelle a jailli sous la lourdeur des crosses.
Victorieux, vaincus, fantassins, cavaliers,
Les voici maintenant, blêmes, muets, farouches,
Les poings fermés, serrant les dents, et les yeux louches,
Dans la mort furieuse étendus par milliers.
La pluie, avec lenteur lavant leurs pâles faces,
Aux pentes du terrain fait murmurer ses eaux
Et par la morne plaine où tourne un vol d'oiseaux
Le ciel d'un soir sinistre estompe au loin leurs masses.
Tous les cris se sont tus, les râles sont poussés.
Sur le sol bossué de tant de chair humaine,
Aux dernières lueurs du jour on voit à peine
Se tordre vaguement des corps entrelacés ;
Et là-bas, du milieu de ce massacre immense,
Dressant son cou roidi, percé de coups de feu,
Un cheval jette au vent un rauque et triste adieu
Que la nuit fait courir à travers le silence.
Ô boucherie ! Ô soif du meurtre ! acharnement
Horrible ! odeur des morts qui suffoques et navres !
Soyez maudits devant ces cent mille cadavres
Et la stupide horreur de cet égorgement.
Mais, sous l'ardent soleil ou sur la plaine noire,
Si, heurtant de leur coeur la gueule du démon,
Ils sont morts, Soleil Rouge, ces braves, en ton nom,
Béni soit le sang pur qui fume vers ta gloire !"
Le chant s'élève vers Fusanori pour lui donner du courage.
Merci à Charles-Marie LECONTE DE LISLE (1818-1894) et à ses poèmes barbares (non ce n'est pas lui qui a écrit : "c'est en marchant dans les entrailles ...."