SUR LE FIL (Kalee-Thal)

Très satisfaite.
Vraiment Eo ne regrette pas ce choix.
Aplanies les difficultés, formulées les exigences, respects des délais :
Maudits tailleurs !!!

Décidément elle était très heureuse de son furisode :
La soie de celui-ci porte, sur un fond bleu froid comme l'hiver alterné de jaune pale comme le soleil, une représentation d'un renard la queue en panache parcourant la campagne.
Là où l'animal n'est pas passé on peut voir les arbres nus, gelés, comme morts.
Là où il passe un bourgeonnement et un feuillage naissant.
Là où il est passé une explosion de florissements multicolores.


Pourquoi Aiko et Naname-san se sont elles arrêtées ?
Que regardent elles ,
Eo finit l’ascension de la colline pour voir :

Une immense armée, étendards au vent.

Le bataillon le plus proche est à moins de deux cent pas. Les ashiragus s’agitent, se poussent du coude et les désignent à l’attention les uns des autres.

« On avance, Samurai-ko ! »

Le cadavre d'Asami est encore chaud sur le sol.
Un ronin s'éloigne, la désapprobation inscrite sur son visage.

L'enfant n'était pas Nihon, mais Fujiwara a veillé à maintenir l'Empire en paix. Cet Inishin ne fait que le réduire en cendres...


La grande armée bruisse, les âmes sont désormais prêtes au carnage qui s'annonce.
Ecraser la rébellion aussi vite que possible. Le Shogun a donné ses ordres.
Ses samuraï sont prêts à les suivre, jusqu'à la mort.

Inspirer avec précaution, l'odeur du sang répandu lui soulève le coeur.
Dans quelques heures se sera pire.
Un rayon de soleil se reflète sur le domaru qui lui couvre le torse. Métal trop raide.

Soyokaze est désormais privée d'armure. Etre son yojimbo ne sera pas une tâche facile.
Replier l'épais haori pour le présenter convenablement.

" Soyokaze-san, prenez de quoi vous protéger également. Vous allez servir de cible. "

Et elles avancent.
Etendards Yatagarasu, Kuma, Seigikami.
Aucun doute : l’armée du Shogun.
L’esprit d’Eo à plein régime :
Les Kitsune sont neutres.
Mis à part Kanna-Sama.
Matsushiko-Dono est toujours invitée du Shogun.

Pourquoi n’arrive-je pas à me sentir en sécurité.

Regards des soldats.
Certains nous suivent.
Un cercle large de soldats et de samurais qui avance avec eux.

Là sur un tertre, les tentes de commandement.
« Ne regardez pas les soldats ! Avancez sans précipitation. Droit devant.»

A petits pas posés.
Nous sommes diplomates.
Nous n’avons aucune raison d’être inquiètes.

Le sourire de Soyokaze.

" Je vous remercie mais je ne puis accepter un tel honneur."

Contenir l'agacement. C'est bien le moment de mettre les formes...
L'haori toujours sur le bras.

L'armée bruisse d'avantage.

" Soyokaze-san, vous êtes une pièce maîtresse de notre armée. J'ai besoin de vous savoir protégée et vous m'avez donné votre domaru. Cet haori est bien peu de chose en comparaison. Prenez-le s'il vous plait. "

En réponse elle s'incline poliment sans le prendre.

" Takara-sama, s'il arrivait quelque chose à votre domaru, il vous resterait encore votre Haori. "

Vais-je devoir lui ordonner ? J'en aurais le pouvoir. Les kamis savent que je ne suis pas une poupée de porcelaine !

L'agitation de l'armée croît encore et détourne le regard de la jeune femme de la fusui.

Là !!!
Là sur la droite !
Un étendard Kitsune :
Le bataillon de Matsushiko.
Qui le commande ?
Je ne le reconnais pas ….
Il s’adresse aux soldats : Que dit il ?

« Soldats Kitsune, membres valeureux de l'empire, vous devez savoir que dans la bataille qui s'annonce, les samurais de votre clan ont trahi dame Matsushiko et vous allez les rencontrer face à vous avec des soldats avec lesquels vous avez vécus
Dame Matsushiko reste la grande daimyo de votre clan, sa droiture n'a pas de faille!
C'est pourquoi elle vous a confié à mon commandement.
Pas d’interrogations, Pas de doutes : Le clan Kitsune survivra. Le clan Kitsune vaincra! »

Matsushiko-Dono vivante ! ils veulent la garder vivante !!!
C’est la joie qui envahit le cœur d’Eo. Mais aussitôt une comptine lancinante domine son esprit.
Protéger Matsushiko-Dono.

Qui ont-ils envoyé cette fois ? N'ont-ils pas compris que la guerre est inéluctable ?

L'haori devient génant sur son bras et elle le tend à nouveau à Soyokaze d'un geste impérieux.

Les soldats qui crient pour approuver le discours de ... Yatagarasu Ashikin qui se retourne vers Eo.
Trop de bruits.
J’entends mal…

« Eo, ancienne fleur du …. Kitsune, bourgeon …….. mauvaise herbe.
……. votre trahison.
……. rien.
Vous …… samourai.
Vous n'êtes …..
Vous ne valez ………….. d’un brave soldat Kitsune. »


"Ne tournez pas la tête. Avançons…"


Devant : les tentes de commandements :
Kuma Fusanori.
Un Seigikami que je ne connais pas.
Seiryoku-Sama : mauvais ça, très mauvais !
Soyokaze-San et
Takara : déguisée en petit soldat...

Saluer debout pour exprimer le respect du à un Karo Yatagarasu : la même inclinaison que pour un Daimyo de n’importe quel autre clan. Pas plus : il penserait que me moque de lui.
A peine moins inclinée pour les autres.

Parler et Sourire.
Etre badine sans plaisanter.
Susciter la sympathie. Au moins pour le Kuma.
Sourire.

"Il semblerait que décidément les temps ne soient plus aux mots."

" Je n'aurai jamais le temps de changer de tenue si une lame me transperce. Autant éviter qu'il ne soit inutile. "
L'haori change de mains.

Mon geste est un peu abrupt, mais il n'est plus temps en effet. Ainsi après avoir fait tuer Asami la voilà qui vient essayer de nous détourner de nos ordres.

La voix d'Eo, reconnaissable entre mille. Après un regard à Seiryoku aux côtés de l'Etat-major, Takara se tourne vers la diplomate kitsune.
Aucun salut, aucune inclinaison de la tête.
Un léger pas vers elle.

Comment a-t-elle pu balayer tout ce que nous avions bâti entre nos clans ?


Le regard de la Yatagarasu se plante dans celui d'Eo, sans hésitation. Quand elle parle, c'est pour détacher soigneusement ses syllabes, pour que les rumeurs qui parcourent encore l'armée ne couvrent pas sa voix.

" Nous avons pu constater que la parole kitsune est comme la feuille d'automne. Elle change de sens au moindre souffle d'air. Elle n'a donc pas plus de valeur ni d'honneur.
Puissent tous les samuraï de cet Empire savoir désormais que ceux qui portent le nom de kitsune ne sont après tout que des...
marchands."

Ce mot, comme une insulte.

Le choc !
Comme un coup de poing.
Des années de discipline pour se contraindre et ne rien laisser paraître.

Et puis une rumeur qui gronde au fond de son ventre :
Menteuse, menteuse, menteuse, menteuse, menteuse
Comme tu devais rire intérieurement quand je te proposais de réfléchir à une solution pacifique…
Menteuse, menteuse, menteuse, menteuse, menteuse
Comme tu devais te réjouir d’enlever Matsushiko-Dono, de la prendre en otage
Menteuse, menteuse, menteuse, Yatagarasu, Yatagarasu !!!

« des ….. marchands »
Insulte !!!
Qu’il faut que tu méprises les Kitsune pour oser ainsi ….
Une seule issue possible, pour l’honneur, pour Matsushiko-Dono !

Une respiration.
Regard au plus profond du sien.

Discipline des mots : inutile d’argumenter, personne ici ne désire écouter.
Focaliser l’attention sur Takara et moi pour sauver Naname et Aiko-San…
"Je pourrais Takara-Sama argumenter de la fausseté de vos informations. Mais cette politesse n'est pas de mise. Vos informations sont exactes : c'est en toute conscience que vous déformez la vérité.
Votre idée de l'honneur souille l'honneur.

Nous pouvons résoudre cette différence de points de vue maintenant. Je suis à votre disposition, si vous en avez le courage, ou nous pouvons attendre le sort de cette bataille ...."

Souvenirs d’enfance : Le geste est un peu théâtral.
Eo écarte le pan gauche de son Furisode pour montrer le katana d’Akizuki-San dans son foureau.
Si tu renonces, je meurs avec peu d’honneur : Tes nervis me transformeront en sushi.
Ne me déçois pas : C’est une bonne journée !

Prête à se battre, grâce au pouvoir de quelques mots.

Le regard de la Yatagarasu a noté le mouvement, le sabre au côté de la samuraï-ko. Ses yeux s'étrécissent, se réduisant à deux fentes luisantes.


Et maintenant, en lui tournant le dos, je réduirais son honneur à néant... Et Seiryoku-sama la ferait mettre à mort.
Et laisser à d'autres le soin de vider notre querelle ? C'est ma confiance qu'elle a trahi.

Dans son attention focalisée sur Eo, l'armée n'existe plus. A peine Takara est-elle encore consciente des officiers non loin.
Elle fait face à Eo sans bouger, alors que la tension s'accumule entre elles, presque palpable. Deux diplomates ?
La voix de Takara n'a plus rien de feutrée, elle s'est faite acérée, tranchante. Une arme destinée à blesser.


" Je serais surprise de voir un kitsune frapper de face pour fois. En seriez-vous seulement capable ? "

Sans quitter Eo du regard, sans mouvements parasites, la jeune femme fait juste un pas de retrait, pour que la distance entre elles deux soit à peine plus longue que celle d'un sabre. De sa main gauche elle fait pivoter le fourreau du taschi dans son obi pour que son arme soit dans le bon sens, et pose calmement sa main droite sur la poignée du sabre.

« Débarrassez moi de ça ! » :
La voie chargée de morgue de Seiryoku claque comme un fouet méprisant.
Eo l’entend.
Elle devrait s’en inquiéter, mais sa conscience est maintenant toute tournée vers Takara.

C’est tout juste si elle prend conscience des mouvements de combats derrière elle. Elle entend les mots, les insultes. Elle entend le silence d’Aiko et de Naname-San. Elle entend le choc des armes qui tranchent les chairs vives. Elle ressent la masse de leur corps heurter le sol.
Deux bruits sourds.
Elle comprend, elle mémorise, mais tout cela reste à la limite de sa conscience.
Elle y repensera demain.
S’il y a un demain.



Elle ne se détourne pas.
Elle observe la main de Takara.
Ses doigts habiles qui caressent délicatement le manche du sabre.
On pourrait presque imaginer celui-ci vivant et disposé à jaillir.
Experte.

Aiko-San. Naname-San. Pour vous :
"Il est facile de fanfaronner quand toute une armée s'en prend à trois diplomates. Il est facile d'être courageuse, Takara-Sama, quand on sait que vingt sabres viendront à votre rescousse quand votre main tremblera.

Je vais vous montrer ce que être Kitsune veut dire."

Mépris.

L'attention de Takara, fixée sur Eo.

Ne pas quitter ce serpent des yeux.

Geste rapide.
De la main droite, Eo fait sauter l’épaule gauche de son furisode.
Geste rapide.
De la main gauche, Eo fait sauter l’épaule droite de son furisode.

Le haut du furisode pend, retenu par l’Obi.
On peut alors voir qu’elle porte deux ushigis unis, légers, l’un sur l’autre.
Bleu.
Jaune.



De la manche pendante du furisode, un objet oblong tombe.
Un coffret ouvragé.
Un sourire pour démentir le feu qui darde de ses yeux.
Un mouvement gracieux, arrondi, presque hypnotique de la main gauche pour désigner l’écrin tombé :

"C'etait un cadeau pour Fujiwara-Dono. Puisse t'il en comprendre le sens"Encore une voie pacifique explorée et qui n’aboutira pas… Personne ne comprendra.



Au fur et à mesure que sa main droite se déplace lentement, bien en vue, le visage d’Eo perd son sourire. On pourrait presque imaginer qu’un esprit cruel s’empare de la Kitsune.

Les doigts s’assurent fermement sur le Katana.
Et,
Lentement,
Centimètre par centimètre la lame grandit hors du fourreau sous la caresse d’Eo.
La lenteur autorise une approche de la perfection du geste.

Eo semble indifférente au mouvement de sa main.
C’est un poignard qui s’enfonce dans les yeux de Takara, dirait-on tant son regard s’appesantit sur la Yatagarasu.

Enfin.
La lame s’immobilise.
Garde basse à droite.
Tranchant vers le haut.



"Si VOUS avez le courage : c'est quand vous voulez."

Pas des mots prononcés par une bouche humaine….
Juste la vibration de l’air que provoque la tangibilité de la haine.

Même la chute du coffret n'est pas parvenue à détourner l'attention de Takara dont toute la concentration semble maintenant réunie dans son regard.
Les murmures des samuraï qui les observent, le choc sourd des corps qui sont tombés sur le sol ne sont pas parvenus à la perturber. Même les paroles d'Eo ne semblent plus l'atteindre.

Sa main s'est juste resserrée sur la poignée du sabre comme pour mieux sentir ses nervures sous ses doigts.

L'éclat de ses yeux n'a rien à envier aux reflets luisants sur la lame de son adversaire.


" Quand bien même nous serions seules, cela ne changerait rien. Il ne peut y avoir de diplomatie avec des gens dont les bouches ne profèrent que le mensonge.
Aujourd'hui vous ne pouvez compter sur les bandits de grand chemin pour avoir raison de moi. "

A l'époque, il restait le bénéfice du doute. Plus maintenant. Les paroles sont de trop.

- Pourquoi ne puis-je pas combattre dans la colère, Maitre ?
- Les sentiments négatifs comme la colère, la haine ou le mépris t’éloignent de l’harmonie. Ces sentiments, quand ils sont exclusifs ferment les chakras. Un aveugle y verrait mieux qu’un colérique..
- Mais que faire alors ?
- Il te faut retrouver l’harmonie. Tu dois ressentir la vibration du monde, la vibration de ton adversaire, la vibration de ton sabre. Intègre aussi dans ton harmonie la vibration de ta colère. Respire, apprend à faire mille et une choses pendant que tu te concentres, pendant que tu trouves l’équilibre..

Un aveugle y verrait mieux qu’une haineuse.
Gagner un peu de temps pour retrouver l’harmonie.


Respiration.
Eo semble relacher sa garde.
Elle commence à se déplacer sur la gauche.
Elle décrit un large cercle autour de Takara.
Quatre pas, cinq, six pas séparent les deux diplomates.
Respiration lente.

« Ainsi vous aussi, vous éprouvez le besoin de rejeter vos fautes et vos faiblesses sur une petite Kitsune. »

Provoquer … La toucher avant même que le corps ne bouge.

« Redressez la tête pour une fois. Montrez nous cette partie du visage que vous dissimulez sans cesse. »

Le pied de Takara qui puise l’énergie de la terre. Les cheveux de Takara emplis du vent. La main de Takara brûlante sur son sabre. L’eau des yeux de Takara.
La tache de Takara. Quel démon antique l’habite-t-il ?

« Montrez nous ce qui vous effraie depuis si longtemps.

La tension qui maintient le corps de la jeune femme dans la même position ne faiblit pas. Alors qu'Eo se déplace autour d'elle, elle pivote lentement pour ne pas la quitter des yeux.

Ta tache offense la vue, détourne le visage ! Tu ne seras jamais une courtisane digne de ce nom !
Pas cette fois Mère, pas cette fois, car je ne dois pas céder face à mon adversaire. Vous l'avez décidé ainsi.

Je suis Yatagarasu, je n'ai pas...
Peur ?
Si elle savait...

Son regard cille à peine, mais un imperceptible sourire se dessine sur ses lèvres fines. Pour une fois, son visage est face à Eo, sans se détourner d'un pouce. Pour une fois, elle ne cherche pas à dissimuler la tache qui la défigure. La main tenant toujours fermement le sabre, lui communiquant sa chaleur. C'est la fierté qui fait vibrer sa voix désormais.


" J'existe pour servir l'Empire de Nihon.
Je suis devenue diplomate du Shogun.
J'ai affronté Kenshiro-sama au dojo.
J'ai combattu un samuraï noir en plein milieu de la Terre des Ombres.
J'ai participé au combat contre un oni-ryu.

Si je connaissais la peur, je ne serais pas là."

Peur... non.
Mon âme est préparée à la mort. En est-il de même pour la tienne ?

Le regard de Takara, lié à celui d'Eo, comme un fil de soie tendu à se rompre.

Pas chassés sur la gauche.
Respiration paisible.
Le contact sensuel de la poignée du sabre au creux de la main résonne dans tout le corps d’Eo.

Je suis prête.
Viens maintenant.
Laisse toi aller.

Entre les yeux de Takara et ceux d’Eo, l’air vibre en harmonie.

Des mots qui n’entament pas son niveau de conscience du présent :
"Pourquoi vous justifier, Takara-Sama, il suffit de frapper. Regardez en face de vous : il n'y a qu'une petite Kitsune.
Jusqu'à aujourd'hui je n'avais combattu aucun complice des onis.
Une Kitsune sans expérience."

Des gestes, comme une danse, sans altérer la concentration.
Eo passe d’une garde basse à une étrange garde haute à droite, d’une seule main. Une garde rarement utilisée, sans réelle incidence sur le jaillissement imminent des aciers compte tenu de la distance entre les deux femmes.

Fait une erreur. Mord moi…
Eo passe d’un registre protocolaire à un registre familier.
"Takara-Chan, frappe ou dis nous ce que tu dissimules mais ne nous raconte pas de fables .... "

Ne te fie pas à sa garde. Tu l'as vue combattre un brigand.
Reste sourde à ses provocations.

Son regard ne dévie pas de son adversaire, comme si les samuraï autour et les armées elles-mêmes n'étaient plus là. Il n'y a plus qu'elle et Eo, et leurs sabres encore au repos, encore brillants. Sa position est restée la même comme si Takara répugnait à rompre cet instant.

Assez joué.

" Vous avez mordu la main tendue qui vous offrait l'amitié.
Il n'y aura désormais entre nous plus que l'acier."

Les lèvres de la jeune femme se referment alors qu'en raffermissant sa prise elle libère la lame de l'étui sur une très faible longueur.
Sa respiration se modifie.

Immobilité.

Comme la flèche sur la corde tendue juste avant qu'elle ne la quitte.

CHOC !!!
DOULEUR !!!

Eo s’accroche au regard de Takara pour riposter.
Mais ??? Takara est immobile ?



CHOC !!!
DOULEUR !!!

Le coup a été donné dans le dos d’Eo. Sous le choc, la tête forme un angle aigu avec le dos avant de rebondir sur la poitrine.
Ou sont ses yeux ? Ou est elle ?



CHOC !!!
DOULEUR !!!

C’est un essaim de cailloux tourbillonnant qui vient frapper Eo dans le dos et sur la tête. Elle bascule en avant…
Ne pas lacher mon sabre !



A genoux sur le sol. Le regard dans l’herbe. Le katana à la main.
Le sang qui dessine sur sa tête la carte d’un delta entre ses yeux et son nez.
Des cris

Le corps d'Eo a un soubresaut.
Incrédule, Takara resserre ses doigts. Non ce n'est pas son sabre qui a frappé plus vite que son esprit, mais alors ??

Un nouveau choc.
Elle cille, sortant de sa transe.

Le troisième.
Ce nuage de poussière et de pierres.
Jette Eo à terre.

Perles écarlates sur le front
accrochent le regard de la Yatagarasu.
Son sabre jaillit de son fourreau, tenu d'une main rageuse.

Faire face aux samuraï.
Des remous dans les rangs.
Seiryoku et Ashikin ont leur sabre en main.

" Qui ose me dénier le droit d'affronter en duel quelqu'un ? A moi qui suis samuraï ?
Qui a si peu d'honneur ?! "

Cela mérite la mort !

Rageuse.
La main tremble sur le sabre.
Tension accumulée sans pouvoir la laisser s'exprimer.

Tumulte.

Murmure.
« Takara, Takara-Sama. »
Comme l’appel à un être aimé qui s’éloigne.


« Je crois que ce n'était pas le jour."


- Mais !!! j’étais prête. Mon ame en paix et mon corps en harmonie.
-
- Non, Magistrat-Sama, aucune trahison, j’ai agi suivant l’honneur
-
- Dans le respect du code…. Chacun de mes mots portait une vérité.
-
- Matsushiko-Dono ....... fière d’être Kitsune.
-


La bouche qui bouge :
" - Il est impossible de prendre le clan Kitsune en faute."


Silence.
Prostration.

Eo à mes pieds.
L'achever pour sa traîtrise ?

Je suis un samuraï...

Une autre silhouette à genoux.
Une kuma
Devant le sabre de Seiryoku-sama.

C'est donc elle !

Nouvelle bouffée de rage.

L'ordre du général traverse la colère qui embrume ses sens. Eo vivra donc pour que ce qui a été commencé s'achève.
Soyokaze n'a qu'à lever les mains et psalmodier à mi-voix pour que les vents lui obéissent, se rassemblent, se condensent pour venir environner le corps brisé d'Eo. Ils la caressent, l'accompagnent, l'enveloppent, la soulèvent presque par leur puissance, jusqu'à la reposer enfin.
Les vagues se succèdent, obéissant à la fragile fusui, pliant sous son implacable volonté, bienfaitrices, régénératrices, apaisantes, ne laissant subsister que les tremblements de l'esprit.

Inspiration.
Se recentrer.

Takara ferme les yeux.

Je ne sens plus la douleur.
Debout !!!

Incrédules, ses bras, ses jambes lui obéissent.
Surprise, elle découvre son Katana serré dans sa main.
Elle redresse la tête.

Des silhouettes. L’armée du Shogun.
Oh !
Oui, ils veulent me tuer…

Elle agite ses doigts pour retrouver sa souplesse. Elle redresse le sabre. Branlante, un peu, elle tourne sur elle pour leur faire face.
Ils sont partout.
Silence de mort.

Un Kitsune est un joyeux compagnon…
« Après Takara-Sama, je distribuerai des tickets… prenez votre place dans la file. »

Takara !!!! Où est elle ?
Eo tourne sur elle-même, dans un sens, dans l’autre pour enfin s’immobiliser. Les yeux sur le médaillon du souvenir suspendu au cou de Takara.

Le médaillon maudit. La preuve insolente qu’elle y était, qu’elle a participé à la ruine de la cité des fleurs…
Ils auraient mieux fait de me tuer ce jour-là…
Je n’étais qu’une enfant.
Aujourd’hui…. Je suis prête.

En un instant tout l’égarement d’Eo disparaît.
Elle recouvre sa conscience de l’instant. Elle retrouve les yeux de Takara. Elle ne cherche plus à l’impressionner.
Elle est.

« Je n’ai plus le cœur pour vous faire dire la vérité, mais je crois que je peux encore vous aider à mourir en samurai. »

Respirer
Sourire

« Si vous êtes prête ? »



Silence.



Elle ne cherchera pas à parer. Toute son énergie est consacrée dans l'idée d'éventrer son adversaire avant d'être éventrée elle-même.

Elle n'est plus qu'une lame qui va s'élancer.

" Haï ! "

D'habitude la jeune femme est plus volubile, mais elle se replace silencieusement en garde face à la Kitsune. Le bras qui tient le sabre est tendu sans être raide. Une nouvelle fois son regard se fixe sur Eo.

Le silence s'est fait. C'est tout juste si on n'oublie pas de respirer afin de ne pas troubler la concentration des duellistes.
Pas un muscle ne tressaille, les yeux en amande ne cillent pas.

Attente du moment propice.
La lame comme une extension de la main.

Attendre sans se relâcher

Le moment !

L'ouverture dans sa garde apparait.
Un pas en avant.
Le bras frappe sans réfléchir, juste quand l'autre sabre entre en action.

Trainées écarlates
Immobilité

Juste avant que Takara ne bouge Eo sait qu'elle sera touchée
Sans reflexion son bras entame une courbe

A l'instant où la lame de Takara pénêtre dans la chair celle d'Eo trouve une ouverture dans le domaru sous le bras

Et puis leur mouvement les entraine au delà l'une de l'autre
Immobilité.